Un Parabellum suisse champion du monde !
Ce texte est une traduction libre et augmentée des pages 264 à 267 de l’ouvrage de Horst Rutsch, Faustfeuerwaffen der EidgenossenLorsqu'on parvient à remporter un championnat du monde avec une arme conçue 50 ans plus tôt, cela mérite notre intérêt. Et lorsque le modèle de l'arme date d'il y a 20 ans, cela confirme sa qualité.
Cet événement s'est passé au championnat du monde de Buenos Aires en automne 1949, lors de l'épreuve de tir à 50 mètres pour les armes d'ordonnances (pistolets et revolvers), et le vainqueur fut un Parabellum suisse modèle 1929 de la Fabrique Nationale de Berne. Ce fut une grande victoire sur les revolvers de précision des compétiteurs américains ainsi que sur toutes les autres armes de modèles plus récents.
Maintenant, une excellente arme ne fait pas à elle seule le bon compétiteur. Mais dans la main du caporal Heinrich Keller de Frauenfeld, ancien chef de poste de gendarmerie, elle allait exceller. C'était la première fois, à l'âge de 40 ans, qu'Heinrich Keller pouvait représenter la Suisse dans une compétition internationale. Bien qu'il brillait depuis de nombreuses années sur la scène nationale, il ne put participer que tardivement à des compétitions internationales, leur organisation ayant été suspendue pendant les années de guerre.
Pour ce championnat du monde, comme c'était autrefois l'usage en Suisse, l'accent fut mis sur la préparation du concours de tir au pistolet de match de petit calibre à 50 mètres, discipline reine, qui avait si souvent réussi aux Suisses avec leurs armes de petit calibre.
Début 1947, les tireurs suisses purent participer à 2 épreuves de qualification pour être sélectionnés au sein de l'équipe nationale, chaque compétiteur utilisant sa propre arme de match. S'en suivirent des tirs d'entraînement avec l'équipe nationale et des exercices particuliers obligatoires, chaque compétiteur les effectuant chez lui, en dehors de ses heures de travail et surtout le weekend. Début 1949, il apparut que les tireurs suisses devraient aussi s'aligner dans le concours dédié aux armes de gros calibre. La Fabrique nationale de Berne mit à disposition des membres de l'équipe nationale des Parabellum modèle 1929 pour participer à cette compétition. Il s'agissait de pistolets d'ordonnance, à l'exception du canon : en installant un canon de calibre 7,65, mais de longueur supérieure (200 mm), on espérait obtenir une plus grande précision. Les premiers essais n'apportèrent pas les résultats escomptés et l'arme fut munie d'un canon raccourci mais toujours plus long (170 mm) que celui du modèle d'ordonnance (120 mm). Comme avec l'arme ainsi modifiée les résultats n'étaient toujours pas à la hauteur des espérances, les tireurs suisses pensèrent n'avoir aucune chance dans cette compétition.
La délégation suisse qui, en automne 1949 rejoignit Buenos Aires, se composait de 19 personnes : 4 officiels, 8 tireurs à l'arme longue et 7 tireurs à l'arme de poing. A Buenos Aires, nos compétiteurs purent durant 3 semaines s'acclimater et s'entraîner dans les installations destinées aux compétitions à venir afin de s'habituer aux conditions inhabituelles qu'ils allaient rencontrer.
A l'époque, les tireurs américains et suédois étaient considérés comme les favoris; on peut retenir les noms de Huelet Benner (http://militarymarksmanship.org/tapsbenner.htm) et Harry Reeves pour les Etats-Unis, de Torsten Ullmann pour la Suède.
Lors de la traditionnelle compétition au pistolet de match, les Suisses réussirent 548 points (Rhyner), 527 points (Keller), 518 points (Ambühl), 518 points (Gämperli) et 550 points (Schaffner) et obtinrent de ce fait la décevante 4ème place par équipe. Toutefois, avec ses 548 points, le routinier Rhyner obtint le titre de champion du monde au pistolet de match.
Les autres tireurs suisses n'avaient plus rien à perdre lors de la compétition suivante au gros calibre et de ce fait ils se lancèrent l'esprit libre dans ce dernier concours.
Avec 559 points, Heinrich Keller obtint le meilleur résultat du tir d'entraînement; ce résultat ne fut atteint par aucun autre tireur, toutes nationalités confondues. Grâce à ce résultat, Keller fut mis en confiance, ce qui se traduisit par des passes à 96, 88, 95, 100, 88 et 92 points pendant la compétition. Au final, Keller obtint 559 points, le même résultat que lors du tir d'entraînement, ce qui signifiait pour lui le titre de champion du monde de tir au gros calibre.
La 4ème passe de 100 points fit sensation, aucun autre tireur n'ayant jusque là réussi un tel résultat. L'image suivante montre le résultat de cette passe sur la cible originale (les cibles étaient changées après chaque passe de 10 coups)
Le chef de la délégation suisse, M. König, força Keller à faire une pause après sa passe de 100 points. Après un tour d'horizon des résultats obtenus à ce stade de la compétition, Heinrich Keller constata qu'il avait déjà pris l'avantage sur tous les autres concurrents. Sa passe de 100 points et ses bons résultats intermédiaires lui valurent l'attention de nombreux curieux qui se pressèrent derrière son stand.
Pour ses 2 dernières passes, la tension nerveuse fut intense et les attentes à son égard extraordinairement grandes. Sa feuille de stand démontre que sur 60 coups, pas moins de 36 arrivèrent dans le 10ème cercle de la cible (8 cm de diamètre).
Ces 559 points valurent donc à Heinrich Keller le titre surprenant de champion du monde individuel; avec 548 points, le Finlandais Eino Saarnikko, qui utilisait aussi un Parabellum, obtint le second rang et la troisième place revint à l'Américain H. Benner qui réussit 546 points avec un révolver de précision de gros calibre.
Dans la compétition par équipe de tir au gros calibre, la Suisse (2160 points) obtint le second rang, pour 1 point juste derrière les Etats-Unis (2161 points), alors que la Finlande arrivait en troisième position (2122 points).
Les résultats des tireurs suisses furent les suivants :
Keller 559 points
Rhyner 540 points
Ambühl 536 points
Gämperli 525 points
La cérémonie de remise des prix fut grandiose : elle eut lieu dans le bâtiment baroque de l’opéra de Buenos Aires. Les vainqueurs de chaque compétition furent invités à monter sur la scène et furent présentés au Président argentin, le Général Juan Peron, qui remit lui-même les médailles, assisté en cela par son épouse, Eva Peron.
Si on considère les armes qui ont pris part à cette compétition, on peut dire qu'environ la moitié des tireurs utilisaient des revolvers (principalement les ressortissants d'Amérique latine) et l'autre moitié des pistolets (où prédominaient les Parabellum).
De nos jours, cette compétition, le tir à 50 mètres pour les armes d'ordonnance, n'est plus disputée aux championnats du monde. A l'époque, il ne s'agissait pas seulement d'une compétition entre les meilleurs tireurs du monde, mais aussi entre les différents systèmes d'armes.
Le fait qu'une arme produite en Suisse s'imposat à ces championnats du monde doit réjouir les collectionneurs et tout ceux qui s'intéressent à l'histoire des armes d'ordonnance, et même des armes tout court.
Il est malheureusement impossible de trouver une bonne représentation photographique de cette arme car tous les Parabellum de l'équipe suisse n'existent plus sous leur forme d'origine. Heinrich Keller regretta à l'époque le fait de n'avoir pas pu conserver l'arme avec laquelle il devint champion du monde. En tant qu'armes de prêt, ces pistolets retournèrent à la Fabrique Nationale de Berne après la compétition, les canons longs furent démontés et détruits et les armes rééquipées avec le canon standard de 120 mm.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]On peut affirmer avec certitude que le pistolet champion du monde portait le numéro P 78108, ce qu'atteste la carte d'identité d'Heinrich Keller, précieusement conservée par celui-ci (chaque participant au championnat du monde se voyait attribuer une telle carte qui mentionnait les référence des armes utilisées).
On peut ainsi dire que le pistolet champion du monde, et probablement aussi les pistolets utilisés par les autres compétiteurs suisses, faisaient partie de la petite série du modèle 29 privé, fabriqués par la Fabrique Nationale de Berne et portant les numéros P 77942 à P 78258.
Bibliographie :
Bosson, Clément.- Armes individuelles du soldat suisse.- Lausanne : Editions Pierre-Marcel Favre, 1980.
Henrotin, G.- La connaissance du Luger.- Virton : Editions H&L, 1996.
Rutsch, Horst.- Faustfeuerwaffen der Eidgenossen, vom Radschloss zur Parabellum-Pistole.- Stuttgart, Zug : Motorbuch Verlag, Verlag Bucheli, 1978.
The Art of Shooting
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